Indicateurs et ratios financiers clés pour évaluer la performance économique d’un Business Model

Ram Charan, consultant de réputation internationale, affirme dans son livre « What the CEO wants you to know« , qu’il y a finalement peu de différences entre la gestion financière d’une multinationale et celle d’un petit commerce. Quelque soit la complexité inhérente à la gestion financière d’une grande entreprise ( on dénombre plus de 200 ratios et indicateurs utilisés par les analystes financiers ! ), il est toujours possible de simplifier l’analyse en la ramenant aux fondamentaux, aux bases du business.

Nous entreprenons dans ce post de présenter ces fondamentaux qui se résument à trois indicateurs et ratios : le Retour sur Capitaux Employés ( ROCE ), le Cash Flow Opérationnel ( CFO ), le taux de croissance du CA.

Ces indicateurs et ratios clés permettent de quantifier un business model et d’en apprécier la performance, qu’il s’agisse d’évaluer la performance du modèle économique d’un concurrent ou de simuler le business model d’une entreprise en création.

La rentabilité

Un ratio de rentabilité est défini par le rapport entre le bénéfice réalisé et les capitaux ou actifs engagés :

Rentabilité = Bénéfice / Capital

L’interprétation est la suivante : 1€ de capital rapporte x€ de bénéfice. On peut réécrire la formule sous la forme :

Rentabilité = ( Bénéfice / CA ) * ( CA / Capital )

En notant M = Bénéfice / CA , la marge opérationnelle ( interprétation : 1€ de vente rapporte x€ de bénéfice ) et V = CA / Capital , le taux de rotation du capital ( interprétation : 1€ de capital génère y€ de ventes ) on obtient la formule de Dupont :

Rentabilité = M * V

Cette formule met en évidence les deux leviers de la rentabilité d’une entreprise, la marge opérationnelle et la rotation des capitaux.

Il existe de multiples ratios de rentabilité et de dénominations qui sont fonctions des grandeurs retenues pour décrire d’une part le bénéfice ( EBE, Résultat d’Exploitation, Résultat Brut, Résultat Net ), d’autre part les capitaux dont il est question ( capitaux propres, capitaux employés, total actifs, investissements, etc. ). Citons le ROE ( Return On Equity ), ROCE ( Return on Capital Employed ), ROA ( Return On Assets ), ROI ( Return On Investment ), etc.

Le ratio le plus intéressant à utiliser pour un entrepreneur, un industriel ou un chef d’entreprise, pour évaluer la performance opérationnelle d’une activité est le ROCE ( Return on Capital Employed, en français Retour sur les Capitaux Employés ) :

ROCE = ( EBE / CA ) * ( CA / Capitaux employés )

avec   M = EBE / CA ,  la marge opérationnelle brute et V = CA / Capitaux employés , le taux de rotation des capitaux employés. Les capitaux employés sont composés des actifs immobilisés et du besoin en fonds de roulement d’exploitation i.e. capitaux employés = Actifs immobilisés + BFRE.

Notons que les analystes financiers calculent la marge opérationnelle à partir du Résultat d’Exploitation et non de l’Excédent Brut d’Exploitation. Nous n’entrons pas ici dans ce genre de subtilités, retenons juste que i)  dans les communiqués financiers, la marge opérationnelle s’obtient à partir du Résultat d’Exploitation ii) il faut veiller à comparer des ratios obtenus suivant la même méthode de calcul.

La marge opérationnelle brute : une entreprise poursuivant une stratégie de différentiation par le haut, cherche à faire payer à ses clients des prix élevés tout en maîtrisant ses coûts. Elle vise donc une marge opérationnelle élevée.

Apple, par exemple, dégage une marge opérationnelle de l’ordre de 30% sur la vente de iphones, LVMH, une marge moyenne de l’ordre de 20% sur l’ensemble de ses activités. ( marges opérationnelles obtenues à partir du Résultat d’Exploitation ).

Le taux de rotation des capitaux employés : les entreprises du secteur automobile possèdent d’importants actifs immobilisés ( usines, machines, équipements, … ) et supportent un BFRE élevé. Les capitaux employés sont conséquents. L’intense compétition régnant dans le secteur sur le moyen de gamme, tend à faire diminuer les prix et à éroder la marge opérationnelle ( ~ 1,5% pour PSA et Renault pour les activités automobile ; la marge opérationnelle étant calculée à partir du Résultat d’exploitation ). Le seul moyen d’augmenter le ROCE est d’améliorer la rotation des actifs donc d’augmenter le volume des ventes. C’est pourquoi les manufacturiers automobiles se livrent une lutte acharnée sur les ventes.

Plus le délai entre la réception des matières premières et semi-finis nécessaires à la fabrication d’un produit, et la livraison du produit au client est court, meilleure est le volume des ventes, meilleure est la rotation des capitaux employés et meilleure est la rentabilité. Voilà pourquoi la réduction des délais de livraison, « lead time », est un enjeu majeur dans l’industrie manufacturière. « The faster, the better ».

La valeur des stocks est comptabilisée dans le BFRE, elle est donc incluse dans les capitaux employés. Réduire les stocks permet de diminuer le BFRE, d’augmenter le taux de rotation et donc d’améliorer la rentabilité. Voilà pourquoi le « just-in-time » s’est tellement développé dans les industries manufacturières au cours de la dernière décennie.

Les entreprises à faibles capitaux employés peuvent atteindre des ROCE à 3 chiffres ( en % ) ! Dell, par exemple, s’est lancé dans l’industrie informatique en tant qu’assembleur d’ordinateurs, avec un modèle de vente directe à distance. Le montant des actifs immobilisés était bien inférieur à la moyenne du secteur. De plus, DELL assemblait les ordinateurs sur commande et les livrait en moins d’une semaine. Les clients étaient facturés dès la commande. Le BFRE était bien inférieur à celui de ses concurrents. En conséquence, l’entreprise bénéficiait d’un taux de rotation des capitaux employés élevé. Au cours de l’exercice 1999-2000, le ROCE de Dell a atteint 243 % ! Le modèle a depuis montré ses limites.

Le cas DELL a fait école. On voit de plus en plus se développer des business models « Asset Free » i.e. à faibles actifs. Citons My Fab ou L’Usine à Design, dans le secteur de la vente directe sur internet de mobilier design et contemporain, qui ne possèdent pas de bureau d’étude ( des designers indépendants soumettent leurs créations au vote des internautes – Crowdsourcing ), d’atelier de fabrication ( la production est sous-traitée en Asie ), de magasin ( les ventes se font via internet ). Le modèle de MyFab et L’Usine à Design est d’autant plus vertueux que seuls les produits rencontrant une audience sont commercialisés.

Le tableau ci-dessous donne les ratios de rentabilité de quelques entreprises oeuvrant dans différentes industrie ; Lafarge, L’Oréal, SAP, Tesco. Il montre que la nature de l’activité impacte fortement la marge opérationnelle et le taux de rotation des capitaux.

Exemples de ratios de rentabilité - Lafarge, L'Oréal, SAP, Tesco
Source : D. Cauchy « Réinventer la création de valeur avec méthode » d’après données Exane BNP Parisbas

Nous ne pouvons conclure ce paragraphe sans évoquer la notion de coût du capital ( Cost of Equity ). Le coup du capital se calcule à partir du rendement des obligations sans risque auquel on ajoute une prime de risque spécifique à l’industrie considérée. Le coût du capital est la rentabilité minimale que les actionnaires sont en droit d’attendre d’un investissement dans l’activité en question. La rentabilité économique d’une entreprise est définie par la différence entre le retour sur capitaux propres ( i.e. Return on Equity défini par la formule ROE = Résultat Net / Capitaux propres ) et le coût du capital. Une entreprise est considérée comme économiquement rentable par les investisseurs si le retour sur capitaux est supérieur au coup du capital. Dans le cas contraire, l’entreprise fait « fuir » les capitaux et investisseurs.

Cette notion de rentabilité économique peut paraître superflue à l’entrepreneur passionné désireux de lancer sa propre activité. Elle est de prime importance si celui-ci cherche à lever des fonds auprès d’investisseurs institutionnels.

En Corporate Strategy les décisions d’allouer les ressources à telle ou telle unité de business, de se défaire d’une entité ou de se lancer dans un nouveau métier se font principalement sur la base de la rentabilité économique ; l’objectif étant la création de valeur pour l’actionnaire (1).

La génération de Cash

Le Cash représente la différence entre le flux d’argent entrant et le flux d’argent sortant. Le Cash est l’oxygène de toute entreprise. Peu importe, le niveau des autres indicateurs, une entreprise ne peut survivre longtemps si les opérations ne génèrent pas de l’argent.

Le Cash Flow Opérationnel, CFO, est le bon indicateur à utiliser pour évaluer le cash généré par l’entreprise :

Cash Flow Operationnel = Cash Flow – ΔBFR

où   Cash Flow = Résultat Net + Amortissements et Provisions

et   ΔBFR = BFR ( année n+1 ) – BFR ( année n )

Réduire les délais de paiement accordés aux clients, rallonger ceux obtenus auprès des fournisseurs, réduire les stocks  permet de diminuer le BFR et d’améliorer le CFO. Le cash généré peut servir à financer, partiellement ou en totalité, les investissements de l’entreprise ou à augmenter les frais marketing et améliorer ainsi les ventes. Générer du cash est donc de prime importance pour la croissance de l’entreprise. Dans les petites entreprises familiales, le cash généré sert souvent à rémunérer les membres de la famille qui dépendent de ce revenu pour vivre. Dans les multinationales cotées, il sert en partie à rémunérer les actionnaires ( versement de dividendes ).

La croissance

Le taux de croissance des ventes est le bon indicateur pour évaluer la croissance d’une entreprise :

Taux de croissance = [ CA ( année n+1 ) – CA ( année n ) ] / CA ( année n )

La croissance est vitale (2). Lorsque le CA stagne ou pire régresse, le top management réduit les coûts, les investissements R&D, les effectifs, les frais de marketing. Les opportunités de carrière se réduisent, les meilleurs éléments quittent l’entreprise à la recherche de nouvelles opportunités. Une entreprise qui cesse de croître, court le risque d’être rapidement devancée par ses concurrents et de voir ses parts de marché s’éroder progressivement. L’absence de croissance entraîne l’entreprise dans une spirale négative.

La croissance a une dimension psychologique. Elle dynamise l’entreprise. Une entreprise en croissance attire les talents, offre de nouvelles perspectives de carrière aux salariés et améliore donc sa performance opérationnelle. Elle est de plus perçue de manière positive par les clients qui associent la réussite à un gage de qualité, ce qui augmente les ventes. La croissance crée des cercles vertueux.

La croissance doit cependant être profitable, durable. Elle ne doit pas se faire en dégradant irrémédiablement la rentabilité ou la génération de cash. Trop de jeunes entreprises prometteuses meurent faute de n’avoir su gérer leur phase de croissance. Elles visent souvent la croissance à tout prix et investissent lourdement pour augmenter leurs parts de marché. Ce faisant elles « brûlent leur cash », augmentent massivement les capitaux employés et les coûts inhérents aux nouveaux équipements, au personnel recruté, etc. Si dans le même temps, l’entreprise échoue à améliorer significativement ses parts de marché, le taux de rotation des capitaux est fortement dégradé ainsi que la marge opérationnelle et donc la rentabilité. Il est alors très difficile de rattraper la situation. Il n’est pas possible de continuer à investir pour améliorer ou adapter les produits / services, de même tout effort supplémentaire de promotion est fortement limité. Reste la pire option possible, la diminution des prix, qui précipite en général l’entreprise à sa perte.

Conclusion

Les exemples donnés illustrent bien comment la stratégie, le business model, l’excellence opérationnelle impactent la performance économique d’une entreprise. Les ratios et indicateurs ici introduits ne sont pas du jargon financier, ce sont des concepts que tout entrepreneur, industriel ou chef d’entreprise se doit de maîtriser.

Notes

( 1 ) L’approche développement durable remet en cause la suprématie de l’actionnaire et le concept de rentabilité économique comme seul indicateur de la performance d’une entreprise. L’entreprise doit intégrer aussi une perspective environnementale et sociétale. La communication et le marketing des entreprises sont certes parvenus à récupérer un certain nombre de valeurs écologiques et sociétales, il n’en reste pas moins que dans les faits l’objectif de création de valeur pour l’actionnaire reste une priorité absolue, même si les entreprises n’en font plus un argument de communication ( chartes, valeurs, missions, etc. ).

( 2 ) « Il n’est pas envisageable de ne pas croître », ce paradigme pose aujourd’hui de nombreuses questions : le modèle de croissance économique suivi jusque là est-il « soutenable » compte tenu de la raréfaction des matières premières, de la pollution et des déchets engendrés par nos systèmes de production, du coût humain résultant d’une compétition exacerbée, etc.

(15 commentaires)

  1. tout cela est bel et bon….mais néglige les facteurs immatériels qui seules permettent de déceler des faiblesses mortelles que le financier et le quantitatif ne voient pas.
    ces indicateurs auraient dit que Kodak se portait très bien en 2000. En 2001 ses marges d’effondraient, aujourd’hui il est en faillite, parce que les dirigeants de l’époque manquaient de vision et de courage. Beaucoup d’entreprises aujourd’hui très bien portantes, selon les critères financiers, sont très fragilisées. L’analyse par l’immatériel ne dit pas quand le clash interviendra, mais permet de le prévenir. Voir http://www.heg-fr.ch/files/emba/120302_entreprise_romande.pdf

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  2. Cher André-Yves,

    L’article porte sur la mesure de la performance économique d’une entreprise.

    Je vous rejoins quand il s’agit d’avancer que la performance d’une entreprise ne se résume pas aux seuls indicateurs économiques et financiers.C’est d’ailleurs le sens de l’approche développement durable. L’entreprise doit aussi intégrer une perspective environnementale et sociétale dans sa performance … et si elle ne le fait pas, les clients se chargeront de la « sanctionner ».

    Les notions de compétences et ressources clés d’une entreprise sont au coeur de l’analyse stratégique car elles sont à l’origine de l’avantage concurrentiel. Elles sont bien souvent immatérielles ; les hommes, le savoir-faire, la culture, l’organisation, etc.

    Il est difficile voire parfois impossible de quantifier ces aspects immatériels ; auquel cas une approche qualitative est tout à fait envisageable et recevable.

    Bref, un tableau de bord d’entreprise comporte des indicateurs financiers et non financiers, des indicateurs quantitatifs et qualitatifs. Ces indicateurs sont complémentaires.

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  3. Bonjour,

    Je réagis par rapport à votre dernier commentaire. Il est effectivement nécessaire d’avoir un bon ensemble d’indicateurs et pas seulement financiers. Assez souvent les indicateurs financiers jouent le rôle de rétroviseur. Ils disent ce qui s’est passé, ce qu’il y a derrière et il est difficile d’en tirer des conclusions trop définitives sur ce que sera demain.

    J’ai en tête le rachat d’une société après une analyse très positive qu’avait faite, en son temps, Salomon Brothers. Tous les indicateurs financiers étaient au vert. Sauf, que la société avait bénéficié de la destruction accidentelle d’une grosse unité de production de son principal concurrent et qu’elle allait être victime d’une sombre affaire d’espionnage industriel. Vous imaginez la suite. Les acheteurs qui ont suivi les recommandations de Salomon Brothers n’ont pas fait l’affaire qu’il espérait faire…

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  4. J’ai toujours suivi votre blog avec un intérêt particulier.
    Y-a-t-il une chance de voir les articles du blog recommencer?
    Il y a beaucoup de nouvelles choses que vous pourriez nous apprendre, depuis 2 ans le monde de l’internet a encore bien évolué.
    Merci par avance!!

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    1. Nick,
      Merci de votre intérêt … j’ai beaucoup d’idées de posts malheureusement je n’ai plus vraiment de temps pour rédiger des articles. J’espère pouvoir reprendre bientôt.

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  5. Bonjour,
    j’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre article. Etant en pleine rédaction d’un mémoire MBA, je recherche quel indicateur serait le plus adapté pour comparer les performances, post expansion, de deux entreprises ayant optées pour une expansion (croissance organique) en chine de leur opérations.

    Ces deux entreprises évoluent dans les services informatiques (pas d’investissement lourd sur les facilities et pour optimiser les couts de structure)sont en compétition sur les critères de qualité.
    Merci de votre réponse.

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  6. bonjour,
    bon article,
    mais je pense qu’il y a la possibilité de diagnostiquer la situation des entreprises tout en prenant en compte leurs relations avec les banques

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  7. Bonsoir,
    J’ai toujours lu avec beaucoup d’attention vos commentaires et pour vous informer j’en ai pas mal bénéficié.
    Je suis un étudiant en projet de fin d’études en sciences comptables (UQAM) ,j’analyse deux entreprises du même secteur d’activité ,ces entreprises ont connu toutes les deux des difficultés.Sur quels types de ratios devrais-je me référer pour dire que l’une s’en est globalement mieux tirée que l’autre.

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  8. Bonjour, je suis toujour à l’écoute de vos nouvelles en matières de performance économique d’une entreprise. Alors Pourriez-vous m’aider à répondre à cette question : pourquoi les rechercheurs incluent-ils souvent le ratio des dépenses publicitaires aux ventes et le ratio du capital aux ventes dans l’analyse de la performance ? Merci!

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